A vrai dire. Livre de l'après-pouvoir, de Václav Havel

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A la question : "qui est le tchèque le plus connu encore en vie ?", on pourra répondre Martina Navratilova, Ivan Lendl, Václav Havel... S'il est vrai que les deux premiers ont bouleversé les courts de tennis, le dernier à, lui, tout simplement bouleversé le cours de l'Histoire.
A l'image d'un Lech Walesa, Václav Havel incarne dans son pays, et dans une grande partie de l'Europe, le symbole de la lutte contre le Totalitarisme soviétique. Et je n'ai pas peur de le dire, c'est pour moi un héros.
J'étais d'autant plus curieux de lire ces mémoires que je ne suis pas un habitué de ce genre, en tout cas pas des mémoires d'hommes politiques, et il ne me viendrait pas à l'idée de lire celles d'un homme politique français.
Ce livre est constitué de trois strates d'écritures qui alternent : des extraits de notes prises tout au long de ses multiples mandats de Président de la République Tchèque, des entretiens avec le journaliste Karel hvižd'ala, en 2005, et d'autres notes, écrites à New York puis au pays et sur la Baltique, au moment des entretiens avec le journaliste.
Il n'est pas toujours aisé de démêler la chronologie des événements qui sont narrés ici, car le récit est discontinu, plus thématique que chronologique.
Mais l'essentiel est le portrait qui se dessine : celui d'un vieil homme (il a 72 ans), fatigué, malade, chroniquement dépressif, manquant totalement de confiance en soi, un peu désespéré par le visage qu'est en train de prendre son pays et le Monde en général.
Tout au long des entretiens avec le journaliste, il essaye de montrer comment il a toujours essayé d'avoir la même ligne de conduite : "j'ai été perçu comme un homme qui a toujours réussi à défendre sa vérité, prête à aller pour elle en prison ; qui, en prison, a refusé les propositions de s'expatrier et qui, de surcroît, à peine libéré, a continué à faire exactement ce qu'il faisait auparavant" (p. 37). Il raconte par le menu comment le pouvoir communiste s'est effondré, comment rapidement il a été poussé à la tête de l'État, comment, aussi rapidement, le nationalisme slovaque allié à la condescendence tchèque ont entraîné la scission de la Tchécoslovaquie, comment la politique politicienne a rapidement repris le dessus, comment le "grand manipulateur" réactionnaire et libéral Václav Klaus (l'actuel président tchèque qui fut premier ministre) a pris le pouvoir. Il raconte tout cela, mais aussi le quotidien d'un Président : écrire des discours à n'en plus finir, gérer les questions d'ordre matériel les plus prosaïques, revoir la décoration et l'organisation du Chateau, ce qui est traité sur le mode humoristique.
Il dit aussi tout son amour pour Olga, puis Daša, les femmes de sa vie, qui l'ont quelquefois porté à bout de bras.
Les anecdotes se multiplient aussi, sur Joan Baez, dont la guitare le protégea d'une probable arrestation, sur le désir de Lou Reed de jouer à la Maison Blanche (!), et j'en passe. Le séjour à New York est d'ailleurs pour Havel une bonne manière de comparer les moeurs des tchèques et des américains, et cette comparaison n'est pas très flatteuse pour les tchèques.
Mais surtout, je l'ai déjà dit, Havel est pessimiste sur la voie dans laquelle s'engage la République Tchèque, ce qui vaut, sans nul doute aussi pour notre pays : "j'ai un très fort sentiment que l'Union européenne se laisse entraîner, sans la moindre résistance, dans la direction de l'actuelle civilisation mondialisée, autrement dit que sa grande idée est la croissance ; et même la croissance pour la croissance, la croissance des bénéfices, des bénéfices pour les bénéfices, le développement et le bien être à tout prix, hélas de façon unidimensionnelle." (p. 383-384) et plus loin : "nous disposons d'un potentiel intellectuel et moral égal à celui des autres pays, mais ce potentiel ne se traduit guère dans la forme et dans les actes de notre État. J'ai parfois l'impression que son essence même est d'exploiter et de défigurer notre pays jusqu'au bout dans l'intérêt d'un douteux paradis de consommation pour la génération actuelle" (p. 220). Inquiet, vous avez dit inquiet ?

A lire : A vrai dire. Livre de l'après-pouvoir (prosím stručně), de Václav Havel, traduit par Jan Rubeš, Éditions de l'Aube, 2007

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